Un exemple de rapport de condition
“ The Abundance of the Earth ” – Jacob Jordaens, 1649
(H/T 240 x 311)
Collection SMK (Statens Museum for Kunst)
Copenhague Danemark
J’ai choisi ce magnifique tableau réalisé par l’un des plus grands artistes néerlandais de l’école Anversoise : Jacob Jordaens, The Abundance of the earth, conservé au Statens Museum for Kunst à Copenhague, Danemark.
Il s’agit d’une grande huile sur toile (240×311) représentant Hercule et Ancheloos sous les traits d’un taureau, entourés de quatre femmes voluptueuses, quatre satyres, dans une abondance de fleurs et de fruits.
Je remercie le Statens Museum for Kunst pour m’avoir permis l’utilisation de cette photographie libre de droit, issue du domaine public.
Sachez que vous pouvez vous rendre sur le site Internet du musée pour voir cette œuvre en haute définition :
L’œuvre est en bel état de conservation.
Je constate deux campagnes de restauration très visibles.
Il s’agit d’une huile sur toile qui présente deux coutures : une verticale à gauche et une horizontale en haut, dans le ciel. La toile étant un bien précieux au 17 et 18ème siècle, les peintres utilisaient parfois plusieurs lés. À mon sens, il ne s’agit pas d’un rajout postérieur mais du montage d’origine.
La couche picturale est pauvre et montre des saletés superficielles et un réseau de craquelures, conforme à l’âge de l’œuvre. L’apprêt est mince et révèle des fils épais. Le film est stable. Il y a peu de pertes et pas de soulèvements. L’œuvre présente des zones d’empâtement et des zones plus pauvres peintes en mince lavis. Certaines de ces zones sont mates car le vernis s’est altéré et a légèrement jauni.
Tout d’abord, je vais considérer le fond du tableau : le ciel et le sol avec ses natures mortes. Puis, dans un second temps, je m’attacherai aux figures : Héraclès, les nymphes, les satyres et Ancheloos, le dieu taureau.
Le ciel présente beaucoup de retouches abusives et débordantes. Ces retouches sont oxydées. Cette partie devait être plus claire et moins orageuse, à l’origine.
Sur la couture, dans la partie supérieure, on remarque des retouches brun-rouge, assez épaisses, posées sur une zone déjà largement repeinte d’un ton gris-bleu foncé. Sur la partie gauche, là où se positionne la couture verticale, se trouve un ensemble de reprises grises, d’autres apparaissant plus vertes, d’autres encore plus foncées ou, au contraire, bleues.
Les nuages ont été également retouchés et le blanc s’est oxydé pour prendre un aspect jaunâtre.
Concernant la végétation, toujours sur la partie gauche, l’arbre escaladé par les satyres montre des signes d’usure des bruns, quelques altérations non suffisamment bouchées par des masticages, une somme de petites pertes, de lacunes minuscules.
Dans le sous-bois, sous les pieds de chèvre du satyre, un ruisseau avec des retouches blanches apocryphes, imite l’écume de l’eau.
Les bruns sont usés, comme lessivés.
Dans la partie inférieure du tableau, le canard de gauche a le cou entièrement repris dans des tons bleus. Cette restauration est visible à l’œil nu et s’accompagne, tout autour, d’une série de masticages repeints d’une qualité médiocre où apparaissent de grosses taches brunes.
Concernant le bouquet d’abondance, au centre, la composition est élégante et en bel état.
Sur la nature morte, en bas à droite, on trouve de légères altérations (sur les carottes, les asperges…), des reprises dans les ombres sous les feuilles et deux ou trois masticages encore très visibles à l’œil nu.
Sur le tronc le plus à droite on peut constater des griffures, des repeints assez foncés dans les tons brun-noir qui accentuent le relief du bosquet. Cette tonalité a été rajoutée.
Sur sa partie supérieure, l’arbre montre des repeints. Ça et là, des zones usées avec perte de matière, tout comme dans la zone de la couture supérieure.
Enfin, la branche au centre montre des retouches dans la partie supérieure, principalement sur les feuilles.
A noter : on peut distinguer la silhouette d’autres branches et d’autres feuilles. Il s’agit là d’un repenti que le peintre a décidé de camoufler par un recouvrement partiel de ton bleu. Cette correction a permis d’aérer la composition.
Passons maintenant aux figures :
Le taureau représente Ancheloos, dieu Fleuve, père des sirènes et des nymphes. Sur sa joue, son oreille et son flanc, des retouches sont visibles à l’œil nu. Il s’agit de retouches éparses et peu débordantes.
Héraclès, fils de Zeus, est reconnaissable à sa peau de lion. Les bruns rouges sont usés, de nature fragile et montrent la trame par endroits.
Il y a des retouches très visibles dans la barbe et sur la bouche car on note un appauvrissement du vernis dans cette zone.
Ses jambes, son genou et l’ombre de son mollet présentent des reprises. Derrière sa cheville droite on trouve une série d’enfoncements et d’altérations mal colorés.
Cette zone s’accompagne d’un réseau de craquelures rondes résultant non de l’âge de la toile, mais d’un enfoncement certainement accidentel.
La nymphe voluptueuse et rieuse à la gauche d’Héraclès montre dans sa carnation, notamment sur le visage, des reprises rosées posées dans la lumière. Quelques masticages sont visibles sur les seins, les bras, les épaules. Sa robe de satin présente des retouches sur l’ensemble des ombres.
Sa main droite est entièrement repeinte, ce qui a complètement bouché la ligne du dessin. Un autre repenti est visible sous la main et montre, une nouvelle fois, les interrogations du peintre et sa correction.
Le satyre à la gauche de la nymphe, vu de face, présente une reprise très visible sur son poignet. Quant à son voisin qui s’accroche à l’arbre, on note des retouches très visibles en brun-rouge et largement posées sur l’ensemble du visage et du torse.
Le jeune satyre aux jambes poilues montre à nouveau une perte de brun effaçant les traits du modèle. Un aplat de rouge est repris dans la carnation avec du rose et du jaune et on peut voir des usures sur les membres inférieurs. Le dernier satyre montre, lui aussi, une usure légère.
Concernant le groupe de nymphes :
La 1ère à gauche, au menton levé, présente un repeint dans l’ombre de sa chevelure. Sa carnation est en bel état à l’exception de son genou et son tibia qui présentent deux masticages avec des rajouts débordants de couleurs.
La seconde nymphe, au centre, présente des retouches dans sa chevelure sur la partie gauche du visage. Les ombres du ventre ainsi que l’ombre de sa fesse dans les plis du vêtement, sont des repeints.
La troisième nymphe présente un masticage à l’aisselle et une main très usée dont la carnation et la ligne ne sont plus visibles. Elle est accompagnée d’un enfant qui montre une figure usée avec des reprises oxydées et un rajout de retouche rougeâtre.
The Abundance of the earth, est une très belle œuvre, d’une belle qualité d’exécution. Des repeints nombreux sont visibles mais ils sont habituels pour ce type d’œuvre de cette époque et de ce format.
Aujourd’hui, l’œuvre ne nécessiterait pas, dans l’urgence, une campagne de restauration conservatoire, mais esthétique. Celle-ci permettrait de retrouver une palette plus claire et plus contrastée, de réduire les repeints abusifs avec de nouvelles retouches qui permettraient une lecture optimale du tableau.
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